Les chroniques des secondes heures de Tanglemhor forment une octalogie de Fantasy épique écrite par Azaël Jhelil. Les quatre premiers tomes sont déjà parus en auto-édition chez Kindle Direct Publishing ; chaque bébé pesant dans les 400-500 pages ! Il n’y a plus qu’à espérer que l’auteur ne nous fasse pas une « G.R.R. Martin » et ne nous plante pas à quelques tomes de la fin… Reste surtout à savoir si la perspective de s’enfiler près de 4 000 pages au total des huit tomes en vaut la peine ; c’est ce que je détaille dans cette chronique du premier opus.
Résumé : « Le temps des mensonges est terminé, sombre crétin. C’en est fini du règne des accapareurs ! Les gros porcs qui gouvernaient l’Alliance ne tromperont plus jamais personne ! Les histoires inventées par vos faux prophètes pour imposer leur soi-disant « œuvre civilisatrice » ont vécu. Pourchassés par vos armées, réduits à la misère et à la famine loin de votre opulence, les peuples du Grand Aghar ont longtemps prié pour que leur vienne un sauveur. Alors, je suis venu. Moi, Krûl de Ssylsune, « monstre » issu des marécages les plus sordides où vous avez pu nous repousser, je suis venu. Pour vous faire payer vos crimes, votre insupportable arrogance. L’heure de la vengeance a sonné ! Qraasch et Naarubsahoum vous réclament le prix du sang ! »
Rejeté de tous, Krûl le semi-lacertys est devenu le prophète du dieu de la Vengeance pour tous les opprimés des cités du Bassin ctasharre et des terres indomptées du Grand Aghar. Ayant libéré par le fer et la sorcellerie les nations en colère, il règne sur un empire à la mesure de sa rancœur. Par la puissance de ses légions et le contrôle exercé par ses prêtres, le Premier vindicateur – dont la rumeur prétend même qu’il commande aux démons – impose désormais sa loi à ceux qui, jadis, l’avaient humilié. La répression est impitoyable... Les peuples « libres » apprennent à leurs dépens que la vengeance est la plus lourde des chaînes.
Il ne reste plus à l’empereur du Levant qu’à soumettre le duché de la
Marche, dernier flambeau d’une résistance à l’agonie. Tout espoir est vain. Il ne reste rien.
Il paraît cependant qu’un audacieux s’est introduit dans la Citadelle noire et en a dérobé l’un des biens les plus sacrés du Très Saint Libérateur. Toutes les
forces de l’Empire ont pour ordre de le ramener… vivant.
Épique et sombre, véritable hommage aux héros de la Résistance, les « Chroniques des secondes heures de Tanglemhor » sont une réponse au fatalisme ambiant et à la propagande des va-t-en-guerre de tous poils. Par une mise en scène quasi filmique, cette épopée sanglante et colorée emporte le lecteur dans un monde où la fureur des batailles rivalise avec la magie la plus noire pour exalter le destin de personnages flamboyants unis dans un seul objectif : la quête de Liberté.
L’auteur : tout le long de ma lecture, j’ai cru qu’Azaël Jhelil était un nom de plume… je me suis aperçu, en me renseignant sur son compte pour rédiger ma chronique, qu’il n’en était rien ! Plus bas dans ces lignes, je vais le taquiner un peu à propos des noms de lieux et des patronymes de ses personnages, à l’orthographe tarabiscotée et à la prononciation aléatoire, mais en partant sur ces bases, que voulez-vous dire…
Breton de naissance, Azaël Jhelil a suivi des études de droit avant de devenir commandant de gendarmerie, excusez du peu ! Un commandant particulièrement bien noté de sa hiérarchie et aimé de ses hommes : faites une petite recherche sur le net si vous ne me croyez pas (n’hésitez pas à le faire car c’est ce qu’il pratique lui-même à propos de ses chroniqueurs, en bon enquêteur qu’il est – j’en sais quelque chose).
Puisque les polars, c'est un peu son métro-boulot-dodo, et parce qu’il est amateur d’histoire antique et de mystique comparée, c'est par la Fantasy qu'il a choisi d'exprimer son goût pour les fresques épiques, inspirées des images de la mythologie classique ou des œuvres contemporaines de Howard, Tolkien ou Yoshikawa (entre autres).
Azaël aime travailler en famille, puisque c’est son fils aîné – Wotan Jhelil (il faudra que je lui demande si c’est son vrai prénom) – qui réalise les couvertures et la cartographie de ses romans. Bref, cet auteur est un vrai personnage à lui tout seul !
Retour de lecture : J’ai dévoré ce beau pavé de 500 pages en seulement trois soirées et pas seulement parce que j’avais un urgent besoin de caler mon armoire normande. La forme, d’abord, captive : sortie de quelques maladresses typographiques, telles que l’utilisation de doubles signes de ponctuations « ?! » – résultant sans doute de la lecture trop assidue de bandes-dessinées – ou de la mise en forme des dialogues au format liste à puces (mais avec tirets cadratins tout de même), la prose du sire Jhelil se dévore avec un grand plaisir : le vocabulaire est riche sans être pédant, le rythme des phrases est équilibré et adapté à la situation, la grammaire et l’orthographe respectés ; de la fine ouvrage !
La plus belle réussite de l’auteur en la matière est encore sa capacité à si bien mêler les descriptions à l’action : il n’utilise pas de tartines pseudo-balzaciennes pour planter son décor, mais sait habilement nous fournir les informations essentielles au fil de l’eau : tout cela coule de source, comme dirait Manon, et ça fait du bien !
Un autre très bon point de la prose de l’auteur tient dans la palette entière d’émotions vibrantes qui m’ont transportées : j’ai suffoqué dans l’obscure puanteur des couloirs des geôles de Nhermar, me suis exalté en vivant les audacieux exploits de l’Ombre, j’ai tremblé sous l’influence pernicieuse de l’avide cruauté perverse des démons, frissonné devant l’ingénue candeur d’Oriana… Croyez-moi, c’est un maëlstrom de sensations qui vous attendent dans les pages de ce roman, dont les changements de tonalités – parfois assez brutaux – se montrent particulièrement perceptibles. L’ambiance est sans aucun doute l’une des plus grandes réussites de ce texte, qui ne manque pourtant pas d’atouts.
Bon, si on récapitule, « L’œuf de Tanglemhor » s’avère agréable à lire – voire enthousiasmant – mais ça nous mène où, tout ça ? L’histoire qui se cache sous la soie de la verve Jhelilienne tient-elle la route ? C’est ce que nous allons voir maintenant :
L’intrigue de « L’œuf de Tanglemhor » n’a pas été sans m’évoquer quelques références très connues, telles que Le Seigneur des anneaux : vous remplacez « l’œil de Sauron » par « l’œuf de saurien » et « la communauté de l’anneau » par « la conjuration de Tanglemhor » et le tour est joué. Plus encore, c’est l’univers de Star Wars dans l’épisode IV qui m’est venu à l’esprit durant ma lecture, notamment à Sorielorn, la capitale corsaire. Il y a là, dans la profusion des espèces, le chatoiement des étoffes et les petites magouilles en tout genre, quelque chose de très tatooinien. Bien sûr, l’univers de Tanglemhor est bien plus sombre que celui inventé par George Lucas et j’y ai également retrouvé quelques traces de A Game of Thrones, inventé par un autre George, Martin, par la mise en œuvre de scènes de grande violence et de tension sexuelle : on ne se situe clairement pas dans un conte de fée, mais dans un univers réaliste et cru. Pour autant, la lecture, sortie de quelques passages ciblés, n’est pas oppressante du tout et s’avère au contraire particulièrement plaisante.
Dans ce premier tome, on suit principalement les pas de la princesse Oriana, dont le père – dernier rempart face à l’invasion du démoniaque Krûl – a été statufié sur ordre de ce dernier. Fugitive, elle sera aidée dans sa quête de vengeance par L’Ombre, un bandit au grand cœur : tu la vois l’analogie avec la trilogie originelle de Star Wars ?
Si les retournements de situation sont nombreux et savent prendre le lecteur à contrepied – ce qui contribue, avec la verve de l’auteur, à rendre la lecture haletante et addictive – l’intrigue de ce premier tome apparait assez classique et ne réserve pas d’immenses surprises. Dans ce registre, la « romance » entre deux des personnages principaux – sur l’air de « Je t’aime, moi non plus » – ne renouvelle absolument pas le genre. Pas plus, d’ailleurs, que les sempiternels archétypes de la Fantasy imposés par Tolkien : elfes, nains, orcs, ogres et trolls sont encore au rendez-vous, avec quelques libertés toutefois par rapport aux modèles du maître. Au moins l’auteur nous épargne-t-il les oppositions raciales trop manichéennes : ce n’est pas parce qu’un orc est un orc qu’il est mauvais ; un ogre fait ainsi partie de la conjuration de Tanglemhor et d’autres personnages à la race traditionnellement rattachée au camp du mal pourraient bien le rejoindre. Comme souvent dans ce genre littéraire, l’auteur semble avoir passé plus de temps à réfléchir à trouver des noms « originaux » (traduire « à l’orthographe biscornue et à la prononciation aléatoire ») qu’à imaginer de nouveaux archétypes, même si j’ai apprécié les divergences qu’il a su y apporter.
Je relèverai toutefois – à croire qu’Azaël avait prévu que je chroniquerai son roman – la notable apparition des Rrënkïna, un peuple à l’apparence léonine qui ressemble comme deux gouttes d’eau à Gurnt, le héros de mon propre roman, L’empire des chimères. On va pouvoir monter le club des léophiles, avec pour membre d’honneur Carolyn Cherry, une autrice de Science-Fiction qui a mis en scène une race léonine humanoïde, les hanis, dans Le cycle de Chanur (cycle que je vous recommande chaudement). Je reconnais également que l’univers imaginé par Azaël Jhelil est particulièrement fouillé. On frise même l’indigestion au cours du prologue et des deux premiers chapitres : entre la datation originale, la cosmogonie et la mythologie à intégrer et la multitude des intervenants aux noms particulièrement hermétiques, c’est assez costaud. Heureusement, toute cette profusion finit par passer à l’arrière-plan dès lors que l’intrigue démarre véritablement pour se focaliser sur quelques personnages emblématiques.
La mythologie, l’histoire, la cartographie et l’ethnographie s’avèrent donc particulièrement riches et donnent une belle profondeur à ce texte. Comme noté plus haut, j’ai beaucoup apprécié que l’ensemble ne soit pas trop manichéen ; c’est d’ailleurs un aspect qui se dévoile de plus en plus au gré de la lecture de ce premier tome : même les divinités les plus sombres peuvent donner à voir des aspects positifs et leurs adorateurs ne sont pas juste des masochistes en mal de châtiments.
Un dernier – petit – dernier point tient à la fin de ce premier tome, qui n’en est pas une : l’auteur nous laisse en plan, sur le bord du quai. La faute, peut-être, au découpage de ce qui n’aurait dû être qu’un seul tome (et qui aurait alors comporté 800 à 1 000 pages !).
Verdict : Je ne vais pas tourner autour du pot, je vous recommande très chaudement la lecture de ce premier tome des chroniques des secondes heures de Tanglemhor. En dépit de quelques défauts accessoires, ce roman m’a réconcilié au moins en partie avec la Fantasy, que j’avais abandonnée à force de lire toujours un peu la même chose. Certes, il y a bien encore quelques clichés, mais la plume d’Azaël a su m’emporter, mieux, me captiver ! Rien que pour le plaisir de la lecture, je vous conseille de découvrir ce texte. Pour ne rien gâcher, l’auteur dispose d’un très bon sens du rythme et vous fera à coup sûr passer par des émotions fortes : vous rirez, vous pleurerez, vous vous exalterez, vous suffoquerez, mais vous ne resterez pas indifférent !
Les liens :
- L’œuf de Tanglemhor, 17,90€ au format broché (505 pages – ISBN 978-2491069001), 4,90€ au format électronique ;
- La page Facebook des Chroniques des secondes heures de Tanglemhor ;
- L'Interview de l’auteur par Aurore des bulles et des couleurs.
Écrire commentaire