Les lectures Voyelles de Philippe Aurèle présentent :
L’HOMME MAIGRE
de Xavier Otzi
Éditions Luciférines
Couverture : Hekx
Design graphique : leodesignlab.com
Parution : février 2017
ISBN : 979-10-96492-05-3
Genre : Thriller Fantastique
Format : ebook & broché
Prix : 3,90 € (ebook) 14,00 € (broché) / 209 pages
Résumé éditeur :
Hybride mi-homme mi-bête, Djool dissimule sa nature et vit dans la solitude d’un cimetière de campagne. Quand il ne creuse pas la terre, il explore les plaisirs de la surface, joue du blues sur sa guitare, s’autorise des virées à Lyon, se passionne pour la télévision, découvre la saveur des aliments cuisinés. Sa vie bascule le jour où il croise la route de Konrad, un taxidermiste maniaque à la recherche d’une dépouille humaine pour composer sa plus belle chimère. Convaincu d’avoir trouvé un ami, Djool lui révèle ses souffrances et Konrad lui promet d’y mettre un terme. En échange, il doit l’aider à voler un corps.
Xavier Otzi livre un récit aussi poétique que sombre, un thriller cryptozoologique où le fantastique émerge dans un univers urbain très réaliste. L’Homme maigre est un conte moderne, celui d’un individu rejeté par la ville qui, tenu en marge comme la créature de Frankenstein, cherche sa place en interrogeant notre part d’animalité.
Le premier chapitre est disponible gratuitement sur Wattpad.
Comment ce livre m’est-il tombé entre les mains ?
Mon éditeur et celui de Xavier Otzi, les éditions Luciférines, font régulièrement des afters ensembles lorsque nous sommes présents sur les mêmes salons, ce qui est généralement le cas lors de Livre Paris et des Imaginales d’Epinal. C’est à l’occasion de Livre Paris 2018 que j’ai fait la rencontre de Xavier qui a réussi à me convaincre de faire l’acquisition de « L’Homme Maigre ».
Atmosph’air de blues
« L’Homme Maigre » fait partie de ces romans que tu lis sans même t’en rendre compte. Il fait la part belle à l’ambiance, entre petits matins brumeux et nuits de pleine lune, entre
Saône et Rhône, entre cimetière isolé et atelier de taxidermie lyonnais. Il est surtout porté par un air de blues – « Crossroad » de Robert Johnson – que je conseille d’écouter au moins
une fois avant de se plonger dans le texte. Le chant plaintif de l’interprète, la mélancolie de la mélodie et le sens des paroles collent parfaitement à l’intention du roman (traduction
personnelle) :
I went to the crossroads, fell down on my knees
Je suis allé au crois’ement, j’suis tombé à genoux
I went to the crossroads, fell down on my knees
Je suis allé au crois’ment, j’suis tombé à genoux
Asked the Lord above, have mercy now, save poor Bob if you please
J'ai d’mandé au Seigneur, aie pitié maint’nant, sauve pauv’ Bob s'il te plaît
Standin' at the crossroads, tried to flag a ride
A la croisée des ch’mins, j'ai voulu faire du stop
Whee-hee, I tried to flag a ride
Whee-hee, j'ai voulu faire du stop
Didn't nobody seem to know me, everybody pass me by
Mais personne ne semblait me connaître, tout ce beau monde m'ignorait
Standin' at the crossroads, risin' sun goin' down
A la croisée des ch’mins, le soleil levant s’couchait
Standin' at the crossroads baby, the risin' sun goin' down
A la croisée des ch’mins, le soleil levant s’couchait
I believe to my soul now, po' Bob is sinkin' down
Je crois en mon âme maint’nant, pauv' Bob va se noyer
You can run, you can run, tell my friend Willie Brown
Vas-y cours, vas-y cours, dire à mon pote Willie Brown
You can run, you can run, tell my friend Willie Brown
Vas-y cours, vas-y cours, dire à mon pote Willie Brown
That I got the crossroad blues this mornin', Lord, baby I'm sinkin' down
Que j'ai le blues du crois’ment ce matin, Seigneur, bébé je vais m’noyer
I went to the crossroad, mama, I looked east and west
Je suis allé au crois’ment, mirer l'Est et l'Ouest
I went to the crossroad, babe, I looked east and west
Je suis allé au crois’ment, mirer l'Est et l'Ouest
Lord, I didn't have no sweet woman, ooh well, babe, in my distress
Seigneur, je n'ai pas de femme chérie, ooh ouais, bébé, dans ma détresse
Le rythme du récit est donc lent, il fait la part belle aux descriptions et aux états d’âme des personnages, sans que pour autant on ne s’ennuie à la lecture un seul instant. C’est que l’univers est singulier et les personnages, pourtant pluriels, aussi. L’attention, l’intérêt et la curiosité du lecteur sont sollicités en permanence car ce dernier cherche à comprendre, à anticiper, à apprendre de ses erreurs d’intuition.
Trois personnages se partagent l’affiche et quelques traits communs : tous les trois sont des écorchés vifs qui se trouvent à la croisée des chemins ; normal pour un ouvrage dont le thème central est la taxidermie et dont le thème musical est « Crossroad ».
L’homme maigre, Djool, est agent d’entretien dans un cimetière proche de Lyon ; un anti-héros dont la nature même pose question, un être doux, fondamentalement gentil, en quête d’une place dans notre société qui méprise les faibles. J’ai eu une tendresse toute particulière pour ce personnage candide, naïf, qui va se révéler au cours de l’histoire : il va gagner en épaisseur et en humanité. Djool porte en lui la part de Fantasy du roman.
Son presque opposé, Konrad, taxidermiste de son état, est possédé par une obsession : créer de toutes pièces une créature cryptoanthropozoologique (en d’autres termes, une chimère mi-homme mi-bête, comme pourrait l’être le Sphynx). Il est devenu, presque par la force des choses, un dissimulateur et un manipulateur. Konrad apporte la touche de thriller psychologique du texte.
Le dernier protagoniste n’est autre que le frère de Konrad, Toni, un flic usé, préoccupé tout à la fois par la disparition de son père que par l’apparition d’un cadavre en dehors du cimetière dans lequel il est censé reposer. Le fil narratif de Toni est le plus rare, très clairement orienté polar, avec son lot d’heures supplémentaires et de cercle familial délaissé.
Vous aurez compris au travers de ces personnages que ce roman propose une atmosphère entre gris clair et gris foncé, qui ne vous procurera aucun autre enthousiasme que celui, bien réel, de la lecture.
Écrire sans aigrir
La plume de Xavier Otzi suit sa partition sans fausses notes. L’intrigue sombre et les personnes cabossés auraient pu induire une écriture plombée par un excès de pathos ; il n’en est rien. L’auteur sait ménager au lecteur des bouffées d’air pur, des trouées dans la nuée, et maintenir sans cesse l’intérêt par petites touches impressionnistes.
Comme sur un air de blues, le rythme est lent, mais entraînant ; il reste en tête. Je ne suis pas amateur de cette musique, mais je suis pourtant incapable d’en décrocher en cours de route
quand j’en entends. La lecture de « L’Homme Maigre » m’a procuré exactement le même effet.
« Ce soir-là, ils dînaient chez Djool. L’homme maigre songeait à l’épreuve que représentait cette aventure gustative, quand la sonnerie de son four le fit sursauter. Le plat de son invité était chaud, il exhalait des senteurs nouvelles dans le studio. Le liquide aux reflets grenat coula délicatement de la bouteille. Le taxidermiste tendit un verre.
Il avait ôté ses gants.
- Le vin est tiré, annonça Konrad. Il faut le boire. C’est le sang de la terre, comme on dit. À la vôtre !
Djool se détendit et porta le verre jusqu’à sous ses narines. Il reconnut une odeur familière. Tout se passerait bien.
- Je la sens, vous avez raison… »
Une intrigante Intrigue
L’un des grands plaisirs de cette lecture c’est que les éléments constitutifs de l’intrigue se mettent en place naturellement, à bon escient, au rythme de la mesure. Il y a peu de découvertes fracassantes, mais plutôt des évidences qui ne s’imposent que lorsqu’elles nous sont révélées : « Bon sang, mais c’est bien sûr ! » ne manque-t-on pas de se dire à plusieurs reprises. Des pistes qui nous avaient été offertes, des indices qui avaient été semés, mine de rien, prennent soudainement tout leur sens. On s’en doutait, inconsciemment, sans jamais avoir su dire quoi, au juste ; c‘est brillant. Il y a bien sûr des exceptions, qui ne sont jamais venues brouiller le plaisir que j’ai pris à lire ce livre.
Objet Livresque Non Identifié
Si le texte concocté par Xavier Otzi m’a fait l’effet d’un OLNI, l’objet-livre tient plutôt quant à lui du Chevalier Bayard : sans peur et sans reproche.
La couverte mate effet « peau de pêche » est très agréable à tenir en main, parfaitement mise en valeur par l’illustration de Hekx qui colle au roman. Le pelliculage tient parfaitement en place, contrairement à ce qu’on peut trouver chez d’autres éditeurs, et non des moindres. La mise en page est aérée, sobre, et les pages vraiment bien tenues ; bref, pour 14 €, on en a pour son argent.
Le travail d’édition et de correction a été fait, le lecteur peut donc se concentrer sur le plaisir de la découverte. C’est tout con, ça parait être la moindre des choses, mais ça n’est malheureusement pas toujours le cas. Bravo aux éditions Luciférines pour ce travail très pro(-pre).
Il existe en prime un mini-site sur la Société de CryptoAnthropoZoologie (SCAZool) de Konrad qu’il est donc possible de visiter durant la lecture :
Universel de terre
Ce roman est clairement destiné à un public adulte et je ne l’offrirais pas à un ado de moins de 15 ans. La violence ou la sexualité ne sont pas très présentes dans le texte, mais les thèmes abordés et l’ambiance du roman le destinent à un public mature ; je ne le préconiserais pas non plus à un dépressif chronique.
Je ne suis pas certain que Xavier Otzi envisage une suite à ce roman ; j’ai même peine à voir comment il pourrait le faire avec autant de brio, mais il ne faut jamais sous-estimer l’imagination d’un auteur. Pour autant sa plume a su me convaincre et je ne manquerai pas de suivre ses prochaines publications.
Alors, Youpi ou Yucca ?
Il va sans dire que j’ai adoré ce roman atypique, mais il vaut bien que je le dise malgré tout : « L’Homme Maigre » est un texte à part que je recommande aussi chaudement que les
cadavres sont froids et exquis.
« Les notes tombaient comme une petite pluie. D’une voix presque fluette, Djool récitait les paroles sans même prendre la peine de les chanter.
- ‘Woke up this morning…
Le blues, une évidence. Il se souvenait d’une maxime. « Joue la musique. Qu’elle vienne de l’âme, du cerveau, du cœur ou des tripes, peu importe. » Djool, lui, n’avait jamais joué qu’avec ses tripes. La technique et les grilles de blues, il les avait apprises grâce à une chaîne du câble. Sa gratte sans vernis, il la traînait depuis toujours. Pour autant qu’il s’en souvienne.
- ‘Got these old walkin’ blues…»
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