Les Lectures Voyelles

Les lectures Voyelles de Philippe Aurèle présentent :

 

ISULKA LA MAGERESSE : LA PIERRE D’ISIS

de Dorian Lake

 

Éditions Noir d’Absinthe

 

Couverture : Virginie Carquin

Corrections : Anne Ledieu

Maquette : Tiphs

 

Parution : avril 2018

ISBN : 978-2-490417-00-1

Genre : Victorian Fantasy

Format : broché

 

 

Prix : 17,90€ / 206 pages

 

Résumé éditeur :

Isulka est une mageresse marginale, un peu vénale, mais surtout très endettée, vivotant en donnant des spectacles de magie dans des cabarets parisiens. Scipione est un spadassin vénitien comme on n’en fait plus, un reliquat du passé exilé de la Sérénissime, trahi par ses pairs et en quête de Vendetta. Recrutés par un employeur anglais pour subtiliser une bague qu’on lui aurait dérobée, la mission se révèle sous un tout autre jour lorsqu’ils découvrent la valeur réelle et symbolique du joyau. Plus question pour Isulka et Scipione de travailler à prix bradés. L’appât du gain les mènera de Paris au Caire, de coups bas en coupe-gorges, une course-poursuite s’engageant entre les protagonistes, des espions, des criminels et une inquiétante secte égyptienne…

 

Comment ce livre m’est-il tombé entre les mains ?

Il m’a été offert par l’auteur lui-même en raison de mes bons et loyaux services en tant que membre du comité de lecture de sa maison d’édition… dont il est lui-même le fondateur ! Vous vous dites sûrement qu’il n’est ici question que de copinage et de publi-reportage déguisé en chronique. Je vous assure qu’il n’en est rien et que j’ai su faire la part des choses, en témoignent les critiques de cet ouvrage que j’énumèrerais plus bas.

 

Bonjour l’Ambiance !

« La Pierre d’Isis » est un roman d’aventures et de cape et d’épée qui a pour cadre la fin du XIXe siècle. Bien que les époques divergent, il n’a pas été sans m’évoquer « Les Aventuriers de l’Arche Perdue » de Steven Spielberg, par le rythme intense qui régit l‘ouvrage : on bat le pavé parisien avant de sauter d'une calèche dans l'Orient Express pour traverser l’Europe, puis la Méditerranée en bateau vapeur, et enfin débarquer au Caire, ce nid d’espions. C’est perdu à dos de chameau dans le désert saharien que s’achèvera ce périple, au terme d’une odyssée menée tambour battant.

Dorian Lake parvient avec brio à nous plonger dans son univers parallèle dans lequel la magie et le mystique se côtoient au sein de sociétés plus ou moins secrètes et de puissances plus ou moins occultes. Les descriptions, nombreuses mais légères et appropriées, m’ont transporté aux confins de mon imaginaire :

« Les Carpates se présentèrent dans un océan de verdure et de mystère. Le train passa aux abords de petits villages qui semblaient tout droit sortis du Moyen Âge, encore peu touchés par la révolution industrielle, voire même par la renaissance culturelle. Un château aux tours acérées se dessina au loin dans les montagnes, menaçant. Scipione se signa, comprenant pourquoi, dans un tel pays, l’homme pliait humblement l’échine devant les forces de la nature ou celles des ténèbres. »

Les personnages sont quant à eux bien campés :

Isulka est une jeune femme rousse, mageresse de son état et magicienne de profession… Une explication s’imposerait-elle ? La mageresse est au mage ce que la magicienne est au magicien : son féminin. Dans l’univers dépeint par Dorian, mages et mageresses disposent de vrais pouvoirs magiques, là où magiciens et magiciennes ne sont que des artistes de cirque, nos illusionnistes d’aujourd’hui. En d’autres termes, Isulka est une sorcière, ce qui est d’ailleurs confirmé dans l’ouvrage :

« Aslin fouilla sa poche et sortit une affiche de spectacle qui contait les exploits d’Isulka la Mageresse. Le portrait, plutôt joli, la représentait entourée d’une aura de feu. Scipione commenta :

— Si elle est illusionniste, cela ne m’étonne qu’à moitié.

— Je n’ai pas parlé d’illusions, mais de sorcellerie. »

Dès lors, me direz-vous, quel besoin l’auteur avait-il d’inventer le mot « mageresse », quand il aurait aussi bien pu conter les aventures d’Isulka la sorcière ? En vérité, je vous le dit, le mot est bien trouvé car on en comprend intuitivement le sens, tout en suscitant la curiosité et en évitant le côté péjoratif du terme « sorcière ».  Pour autant, Isulka n’est pas sans me poser quelques problèmes, car elle est loin d’être aussi flamboyante qu’elle aurait pu l’être, toute rousse qu’elle soit. C’est que la jeune dame est étonnamment moderne pour une femme de la fin du XIXe siècle : célibataire, de mœurs libérées sans être légères, elle (sur)vit de son métier et ne ménage ni l’usage de sa langue acérée ni de ses poings de fer, pas même gantés de velours. Entendons-nous bien : je n’ai rien contre les personnages féminins forts et indépendants et, s’agissant d’un roman de Gaslamp Fantasy, je ne hurle pas à l’hérésie historique. L’auteur l’a voulue inflexible, tranchante, marquée par la difficulté d’être une femme indépendante dans son époque et je respecte ce choix, qui a toutes les apparences de la cohérence. Pour autant, s’agissant d’un personnage taillé pour être une héroïne, je trouve qu’Isulka manque de rondeurs dans sa manière d’être et de se comporter ; je n’ai pas réussi à véritablement l’apprécier. Elle est un diamant brut aux arrêtes tranchantes qui aurait eu besoin, selon moi, d’une taille qui en aurait fait ressortir l’éclat. De ce que j’ai pu entendre ou lire de-ci et de-là, les lectrices n’ont pas ressenti mes pudeurs de vieux ronchon.

Scipione di Lucantoni, perpétue quant à lui l’archétype du spadaccino italien, bretteur, gouailleur et charmeur, sans verser dans la caricature. Par opposition à Isulka, il est étonnamment old school par rapport à son époque et incomparablement plus abordable du point de vue du lecteur ; il n’est pour autant pas nécessairement plus recommandable. La tension érotico-amoureuse qui le lie à Isulka tiendra le lecteur en haleine tout au long du roman, Dorian se montrant à cet égard particulièrement fin.

What about le grand méchant de l’histoire, dont je tairais le nom pour vous laisser le découvrir par vous-même ? Ayant eu l’heur de lire d’autres ouvrages de sire Lake, je dirais simplement que les antagonistes ne sont pas son atout le plus fort. C’est moins marquant dans ce roman que dans le premier tome de « Hex In The City », par exemple, mais le grand méchant de cette histoire manque de profondeur et parfois même de jugeote. Il a au moins le mérite de ne se dévoiler que progressivement et le lecteur est trop emmené par le rythme effréné pour que ce soit véritablement gênant. Par rapport à la richesse des protagonistes, la différence de traitement est toutefois marquante, au point de reléguer le GMH au rang de personnage secondaire.

Tout cela est bien beau, me direz-vous, mais qu’en est-il du style ?

 

La plume est à l’Écriture ce que l’orange est au canard

Je me suis interrogé sur la raison qui avait poussé l’auteur à créer sa propre maison d’édition pour publier, entre autres, ses propres romans : s’agissait-il d’un candidat déçu par les refus successifs des nombreuses maisons d’édition occupant d’ores et déjà l’espace public ? Fallait-il craindre le pire quant à la plume de Dorian, aussi sympathique soit-il ?

Que nenni, elle s’avère légère et virevoltante, affûtée telle une rapière. Sans prétendre être un expert de l’art, mon œil s’est aiguisé depuis qu’il m’a pris la fantaisie d’écrire, et je traque chez mes confrères les erreurs que je commets moi-même. Sans aller jusqu’à dire qu’il égale le maître, loin s’en faut encore, il y a tout de même un peu d’Alexandre Dumas dans les récits de Dorian : les phrases sont équilibrées, ni trop courtes ni trop longues, loin du « sujet-verbe-complément » ad libitum tellement en vogue aujourd’hui. La ponctuation est respectée, l’orthographe, la conjugaison et la grammaire aussi, et le style comme le rythme plus que plaisants.

« L’Italien virevolta, chassant une lame de son épée tout en bloquant un sabre de sa main-gauche. Il repoussa le troisième du pied , dégagea sa rapière tout en cinglant le visage d’un sbire et évita de justesse le poing de celui qui restait au contact.

Parade, esquive, frappe, chaque action était réglée comme du papier à musique, la moindre faille, la moindre erreur, pouvant s’avérer fatale.

Scipione était cependant un musicien virtuose, et son instrument était d’acier. »

Tout semble donc aller pour le mieux dans le meilleur des mondes ! Qu’en est-il alors des critiques que je vous ai promises ?

 

Intrigue ? Moi, j’ai dit intrigue ? Vous m’intriguez…

J’ai rapproché le scénario de « La Pierre d’Isis » de « Les Aventuriers de l’Arche Perdue », mais il est en réalité plus proche de « À la poursuite du Diamant vert » ou de « Les Aventures Extraordinaires d'Adèle Blanc-Sec » (le film de Luc Besson). Il est en effet question dans cet ouvrage d’une course-poursuite pleine de rebondissements.

Il y a malheureusement quelques facilités dans l'intrigue qui nous est proposée et dont la fréquence s’accroit en fin d’ouvrage (je pense notamment à l'effet irréaliste des flammes sur la fille de Seth et à l'attitude peu compréhensible d'Aslin en fin d'ouvrage). S’agissant d’un récit empruntant à l’imaginaire, on pourrait les passer sous silence à grand renfort de « Ta gueule, c’est magique ! » mais elles m’ont personnellement d’autant plus agacées qu’elles étaient loin d’être nécessaires ; une relecture plus attentive et critique aurait dû débusquer ces erreurs de jeunesse. C’est le principal reproche que je ferais à ce roman, en dehors de son héroïne peu aimable.

 

Des origines de l’Originalité

Le tour de force de l’auteur réside dans sa capacité à mélanger des genres populaires  – le roman de cape et d’épée façon Alexandre Dumas, le film d’aventures hollywoodien, la magie à la Harry Potter et un univers à la Jules verne) – pour composer une œuvre unique, dotée d’une personnalité propre. Pour autant, l’originalité, si chère à mon cœur de lecteur, n’est pas l’élément le plus saillant de ce roman, qui réside, vous l'aurez compris, dans la capacité de Dorian à nous faire vivre une aventure menée tambour battant au travers d’une très belle écriture.

 

Universel mon cher Watson ?

Je destinerai ce roman à des ados à partir de 12 ans – en raison de certaines descriptions de combat –, à de jeunes adultes et à tous les lecteurs férus de littératures d’aventure et d’imaginaire, sans limite d’âge.  Si la présence de la Fantasy se fait discrète au début du roman, elle s’affirme tout au long du récit pour très clairement se tailler la part du lion – ou du sphinx – lors du dénouement.

Isulka la mageresse dispose d’ores et déjà d’un deuxième tome, intitulé « La Vieille Alliance », et il est plus que probable que d’autres opus soient à suivre. Pour autant ce premier volume ne laisse pas le lecteur suspendu dans le vide, en vertu d’un cliffhanger malvenu : l’intrigue de « La Pierre d’Isis » connait une vraie fin, tout en laissant présager une évolution au niveau de la relation entre les différents personnages.

 

Alors, Youpi ou Yucca ?

« La Pierre d’Isis » est très clairement un bon roman d’aventures que je recommande, même si je lui préfère le premier tome de « Hex in the City » du même auteur. Son principal attrait tient dans son rythme enlevé et dans la plume de Dorian Lake, qu’il faut découvrir. Il y a bien quelques défauts de jeunesse, que j’ai relevés plus hauts et qui me sont personnels, mais ils ne m’ont pas empêché de venir à bout de ce roman en moins de deux jours. Si vous aimez les personnages hauts en couleurs, voyager dans vos lectures et les aventures palpitantes, ce roman est très clairement fait pour vous !

 

« — Je ne vous ai pas remercié pour ce que vous avez fait. Je suis peut-être une garce, mais vous avez joué les héros pour moi. C’était idiot de votre part, mais, sans vous… »

 

Disponible sur le site de la maison d'édition Noir d'absinthe.

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